Essence coloniale d’une politique contemporaine: pour une approche fanonienne de la discrimination positive en France

Karim Ghorbal

Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis, Université de Tunis El Manar, 26 avenue Darghouth Pacha, 1007 Tunis (Tunisia)

e-mail: karimghorbal@hotmail.com

 

RÉSUMÉ

Cet article a pour objectif de considérer la dimension transhistorique des discours qui entourent la discrimination positive en France afin de mettre l’accent sur les origines et continuités du phénomène. Il s’agira premièrement d’évoquer le rapport dialectique et contradictoire que cette pratique différentialiste entretient avec les principes universalistes et républicains de la France. Je montrerai par la suite que le colonialisme et l’esclavage constituent certains des fondements historiques de cette politique, pourtant relativement récente dans l’Hexagone. En dernière instance, cette problématique sera envisagée au prisme du concept de « reconnaissance » — dans son acception fanonienne — afin de proposer l’analyse selon laquelle la discrimination positive s’inscrit dans une dynamique — nullement anachronique — qui renforce et perpétue insidieusement l’hégémonie culturelle et sociale des élites traditionnelles.

 

ABSTRACT

The Colonial Essence of a Contemporary Policy: Towards a Fanonian Approach of Positive Discrimination in France.- The purpose of this article is to consider the trans-historic dimension of the discussions around positive discrimination in France with the aim to emphasize the origins and continuities of the phenomenon. Firstly, I consider how this practice of differentiation has a dialectic and contradictory relationship with the universalist and republican principles of France. I then demonstrate that some of the historical basis for this relatively recent policy are found in colonialism and slavery. Ultimately, I will face these issues from the vantage point of the concept of “reconnaissance” in Fanonian proposing an analysis through which positive discrimination is inscribed within a dynamic, not at all anachronistic, that insidiously reinforces and perpetuates the cultural and social hegemony of the traditional elites.

 

Submitted: 5 October 2014. Accepted: 24 February 2015

Citation / Cómo citar este artículo: Ghorbal, Karim (2015). “Essence coloniale d’une politique contemporaine: pour une approche fanonienne de la discrimination positive en France”. Culture & History Digital Journal, 4 (2): e016. doi: http://dx.doi.org/10.3989/chdj.2015.016.

MOTS-CLÉS: discrimination positive; reconnaissance; diversité; histoire; colonialisme; esclavage; modernité; postcolonialisme; Frantz Fanon.

KEYWORDS: positive discrimination; reconnaissance; diversity; history; colonialism; slavery; modernity; postcolonialism; Frantz Fanon.

Copyright: © 2015 CSIC. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution-Non Commercial (by-nc) Spain 3.0 License.


 

CONTENUS

RÉSUMÉ

RESUMEN

INTRODUCTION

UN NOUVEAU PARADIGME (ANTI) RÉPUBLICAIN

UNE QUESTION DE TEMPORALITÉ

DÉSIRS ET DÉNIS DE RECONNAISSANCE

CONCLUSION : UNE HOMOGÉNÉITÉ HÉGÉMONIQUE

NOTES

REFERENCES

INTRODUCTIONTop

La discrimination positive, traduction discutable de l’affirmative action américaine, est une politique relativement récente en France puisqu’elle fait son apparition au début des années 1980 et connaît un essor particulier au cours des années 2000. Elle s’inscrit dans le contexte d’une société française plongée dans une crise identitaire sans précédent. La question des discriminations occupe une place de plus en plus importante dans les discours publics. Elle renvoie à l’impensé colonial et concerne notamment les Français dont les parents sont originaires de l’ancien empire colonial et esclavagiste de la France. Héritières des représentations discriminantes forgées par la « République coloniale » (Bancel et al, 2006 : 160), ces populations issues de l’immigration — qui vivent dans une large mesure en périphérie des grandes villes — n’ont eu de cesse de dénoncer la stigmatisation — sociale, culturelle et territoriale — dont elles sont l’objet, de façon militante comme lors de la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » en 1983, ou en usant de la violence à l’image des émeutes des banlieues en 2005.

La discrimination positive, qui constitue l’une des réponses proposées afin de gérer cette altérité de l’intérieur, entretient un rapport singulier avec l’histoire. Elle répond à la volonté de remédier, dans le présent et le futur, à la marginalisation et à l’assujettissement dont certains individus furent victimes par le passé. Cette réparation, qui se traduit par l’octroi de traitements préférentiels à des groupes spécifiques de la société dans le but de corriger les effets d’une discrimination antérieure — dont les effets se font sentir de nos jours — pose certes des problèmes législatifs mais soulève également des questions éthiques. Reconnaître une injustice passée est une chose, faire usage de mesures discriminatoires pour l’amender en est une autre. Afin de rendre compte de cette nuance, il me semble intéressant de formuler la problématique en ces termes : est-ce rendre service à un (ex) dominé que de lui rendre service ? Cette interrogation renvoie notamment aux notions de justice, de temporalité et de reconnaissance.

Est-il juste de discriminer ? Est-il injuste de ne pas lutter positivement contre les discriminations ? Les valeurs universalistes et égalitaristes portées par l’histoire républicaine de la France ont tendance à engendrer des débats manichéens autour de la discrimination positive. Toutefois, les interstices de ces schémas rhétoriques peuvent laisser apparaître des pensées contradictoires et qui, parfois, se recoupent. En effet, on verra que la défense de la discrimination positive n’est pas forcément synonyme de la défense de la « diversité » ; de la même manière que les pourfendeurs de cette politique ne sont pas nécessairement les tenants d’une identité immuable et exclusive.

Il va de soi que les débats autour de l’identité et de l’Autre naissent lors de contextes spécifiques. On sait que les périodes de crises (économiques, politiques, sécuritaires ou autre) donnent lieu à des conflits sociaux et que ceux-ci alimentent les discours identitaires. L’actualité d’une conjoncture particulière n’est toutefois pas la seule donnée à laquelle renvoie la discrimination positive. De façon implicite, le passé, l’histoire et la mémoire façonnent cette politique qui s’articule autour des notions d’identité et de temporalité. Paul Ricœur précisait que « l’identité personnelle est marquée par une temporalité qu’on peut dire constitutive. La personne est son histoire » (2005 : 126). Je voudrais suggérer que l’« anachronisme du contemporain » analysé par Reinhart Koselleck (1993 : 346) est véhiculé par la discrimination positive. Selon cette perspective, les membres des groupes minoritaires subissant dans le présent les effets de discriminations héritées du passé sont, pour ainsi dire, porteurs d’une atemporalité constitutive.

Cette temporalité relative est particulièrement tangible et éloquente si l’on se réfère à l’interprétation que Frantz Fanon fait de la dialectique hégélienne, qui sera utilisée ici comme un outil conceptuel afin de cerner certaines zones d’ombre de la discrimination positive. Le psychiatre martiniquais, à la suite de Kojève, Sartre ou encore De Beauvoir, soutient que seul l’esclave ayant lutté et risqué sa vie pour obtenir sa liberté en serait digne. À la lumière de cette approche, il est possible d’envisager la discrimination positive comme une mesure paternaliste et d’assistanat qui s’inscrit en partie dans le paradigme selon lequel les anciens maîtres « octroyèrent » la liberté aux esclaves et, par extension, l’indépendance aux colonisés. Dès lors, on peut légitimement se demander si leurs descendants, c’est-à-dire les Français issus de l’immigration, méritent les nouvelles prérogatives éducationnelles, sociales ou politiques qui leur sont accordées et pour lesquelles, par voie de conséquence, ils ne se seraient pas battus.

Cet article a donc pour objectif de considérer la dimension transhistorique des discours qui entourent la discrimination positive en France afin de mettre l’accent sur les origines et continuités du phénomène. Il s’agira premièrement d’évoquer le rapport dialectique et contradictoire que cette pratique différentialiste entretient avec les principes universalistes et républicains de la France. Je montrerai par la suite que le colonialisme et l’esclavage constituent certains des fondements historiques de cette politique, pourtant relativement récente dans l’Hexagone. En dernière instance, cette problématique sera envisagée au prisme du concept de « reconnaissance » — dans son acception fanonienne — afin de proposer l’analyse selon laquelle la discrimination positive s’inscrit dans une dynamique — nullement anachronique — qui renforce et perpétue insidieusement l’hégémonie culturelle et sociale des élites traditionnelles.

UN NOUVEAU PARADIGME (ANTI) RÉPUBLICAINTop

Ce qui est juste

Discriminer c’est poser un regard qui n’est pas à sa place. C’est soit mépriser, soit surestimer. Dans les deux cas le regard n’est pas juste ni moralement acceptable.
Tahar Ben Jelloun (2005).[1]

Les « inégalités justes », théorisées par John Rawls dans la Théorie de la justice (1971), servent en quelque sorte de fondement théorique à l’affirmative action (Keslassy, 2004 : 27-28). Celle-ci trouve son origine dans l’ancien concept anglais d’ « équité », selon lequel il était possible de passer outre la rigidité des lois afin d’être juste dans une situation particulière (Rubio, 2001 : 2). La discrimination positive à la française se caractérise par sa dimension éminemment sociale — tout du moins en apparence — et par le fait qu’elle ne s’inscrit pas dans le contexte d’une entreprise systématique de marginalisation ou de discrimination instaurée par le droit sur le territoire métropolitain. À la différence de pays comme l’Inde, les États-Unis ou l’Afrique du Sud, la France n’a pas pratiqué, au sein de ses frontières nationales, de ségrégation officielle à l’encontre d’un groupe ethnique spécifique. Il devient dès lors problématique de justifier l’établissement de quotas au bénéfice d’une partie de la population sans remettre en cause les principes républicains reposant sur l’universalité et l’égalité. Comment concevoir, dans le pays des Droits de l’Homme et du Citoyen, que l’on inverse les valeurs républicaines en sacrifiant l’égalité sur l’autel des résultats ? Et comment mettre en place, sur le plan juridique et sans aller à l’encontre du principe d’indivisibilité du peuple français, une politique en faveur de certaines communautés ? La discrimination positive ne constitue-t-elle pas un constat d’échec face à l’impossibilité d’établir une société juste, tant du point de vue des principes que des réalités sociales ?

Ce qui frappe concernant les débats suscités par la discrimination positive en France, c’est le hiatus entre les pratiques légale et publique et les implications théoriques de cette politique. De fait, la création de zones franches, le statut de certains départements d’outre-mer ainsi que les conventions d’éducation prioritaire à l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences Po) favorisent l’« intégration »[2] — plus ou moins superficielle — des populations issues de l’immigration au sein des rouages de la République française (Perreau, 2004). Habermas explique que « le changement accéléré des sociétés modernes fait éclater toutes les formes de vie figées » et que « l’intégration des citoyens assure la loyauté à l’égard de la culture politique commune » (2014 : 317-319). De ce point de vue, la discrimination positive pourrait être envisagée comme une mesure préventive ou défensive que la République adopterait afin de préserver son intégrité. De la même manière que les luttes des ouvriers, des femmes ou encore des homosexuels sont parvenues à ébranler le voile symbolique de l’égalitarisme et de l’universalisme à la française, les mesures d’action positive à l’endroit des minorités dites visibles mettent en lumière, toujours selon Habermas, « l’inégalité factuelle du traitement de ceux qui étaient tacitement exclus » (2014 : 342-244). Toutefois, est-ce-à-dire que les Droits de l’Homme ou l’universalisme ont assuré une fonction idéologique favorisant l’exclusion de certains groupes, notamment ceux ayant subi des discriminations par le passé ?

C’est en tout cas ce qu’avancent certains défenseurs de la discrimination positive pour qui des dispositions d’exception à la règle égalitaire peuvent être prises à titre temporaire tandis que d’autres soulignent que les valeurs de la Révolution Française doivent laisser place à un nouveau paradigme basé sur l’équité (Perreau, 2004). Dans la mesure où l’Ancien Régime favorisait le particularisme, une large tradition universaliste et républicaine assimile le droit à la spécificité comme une entorse aux valeurs de la France. Se réclamer de cultures différentes à celle de la Nation idéalisée est donc perçu comme une faute (Vergès, 2005a). Toutefois, pour certains spécialistes, les comptages ethniques ne seraient qu’un instrument reflétant le vrai visage de la société et les mesures de discrimination positive qu’une action politique venant à la rescousse des valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité. Azouz Begag, qui fut ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances de 2005 à 2007, estime que la discrimination positive est « grevée par une rhétorique conservatrice invoquant la dérive communautariste ». Il se dit favorable à un « coup de pouce volontariste » et rejoint la démographe Michèle Tribalat sur la nécessité d’avoir recours aux statistiques ethniques en France (Begag, 2003 : 86-87). Selon cette perspective, loin d’être une dérive communautariste, la discrimination positive — et les quotas qu’elle implique — constituerait un moyen temporaire « que se donne une société pour combler le vertigineux et croissant fossé qui défigure la démocratie » (Moulier-Boutang et Vidal, 2006).

Face à ce type d’argumentation se voulant en phase avec la société française actuelle, s’érige un courant de pensée autour d’intellectuels et de politiciens de droite comme de gauche selon lequel toute mesure dérogatoire menacerait la République dans ses fondements. Si l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 pouvait laisser planer un doute quant à la portée relative des notions de liberté et d’égalité : « les hommes naissent libres et égaux en droits, les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », l’article IV, en revanche, avait le mérite de la clarté : « Tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi], sont également admissibles à toutes dignités places et emplois publics, selon leur capacité, et sans aucune autre distinction que celles de leurs vertus et talents ».[3] De plus, la discrimination positive s’oppose à l’un des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen tel qu’il est exposé dans l’article premier de la Constitution de 1958. Celui-ci stipule que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Or, pour Alain-Gérard Slama, « une société qui viole les principes sur lesquels elle repose, même au nom de fins justes, ne peut pas être une société juste » (2004 : 133). Selon Anne-Marie Le Pourhiet, l’abstraction des « talents et vertus » conduirait à « promouvoir des individus moins méritants ou compétents ». Par ailleurs, se référer à des discriminations subies par des générations antérieures aurait comme conséquence de rattacher « l’individu actuel à un être collectif ». La question des quotas poserait un problème de représentation dans la mesure où « la banalisation du comptage catégoriel », c’est-à-dire la prise en compte de caractères distinctifs comme le sexe ou la race « ne signifie rien d’autre que la privatisation de la res publica et donc le retour à la féodalité, fut-elle déguisée en “modernité” » (Le Pourhiet, 2001 : 176).

Cependant, si la discrimination positive est souvent décriée comme « un concept pernicieux » venu d’Outre-Atlantique et « contraire à la tradition républicaine », pour reprendre les termes de Jacques Chirac en 2007 (Simon, 2009 : 436), c’est certainement en raison de la dimension particulariste et ethnique de cette politique. La montée en puissance de Nicolas Sarkozy au cours des années 2000 n’est pas sans rapport avec l’élan que connait la discrimination positive à cette période. En soutenant cette politique, il se distinguait à la fois de la droite traditionnelle républicaine et renvoyait la gauche face aux ambigüités et limites de la politique « antiraciste » qu’elle menait depuis 1981.[4] En 2008, alors qu’il propose d’introduire le terme de « diversité » dans le préambule de la Constitution « afin de rendre possibles de véritables politiques d’intégration », plusieurs voies s’élèvent contre une posture jugée communautariste et antirépublicaine. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, exprime son inquiétude face à une intention politique qui relève de « logiques de discrimination positive basées sur la référence ethnique »[5] tandis que Caroline Fourest, journaliste et militante laïque, estime quant à elle que l’idée d’ajouter le mot « diversité » au Préambule « nous éloigne fondamentalement de l’héritage de la Révolution française pour nous rapprocher d’une conception plus anglo-saxonne, plus différentialiste et plus communautariste, en insistant sur ce qui nous différencie et non plus sur ce qui nous rassemble ».[6] À gauche comme à droite, les adversaires de la discrimination positive dénoncent donc le danger du communautarisme et du repli identitaire et en appellent aux valeurs immuables de la République.

Il est singulier de constater que cette politique récente, qui concerne les deuxième et troisième générations de Français issus de l’immigration, donne lieu à des débats qui renvoient au passé. L’atemporalité de la discrimination positive tient notamment au fait qu’elle porte en germe une notion à la fois taboue et a priori anachronique en France : la « race ». Ce concept sera utilisé ici comme une construction sociale dans la mesure où, pour reprendre les termes de Magali Bessone, « les races sont réelles parce que la catégorisation raciale existe et entraîne une stigmatisation, une domination et une perpétuation des inégalités sociales, politiques et économiques en défaveur des minorités raciales dans nos sociétés contemporaines » (2013 : 186).

La modernité de la race

The problem of the twentieth century is the problem of the color line, the relation of the darker to the lighter races of men in Asia and Africa, in America and the islands of the sea.
W. E. B. Du Bois (2006 : 17).

Plus d’un siècle après cette juste anticipation de W. E. B. Du Bois, force est de constater que « la ligne de la couleur » est au centre de nombre de problématiques sociales de nos jours et qu’elle représente l’une des données majeures de la discrimination positive en France. Pourtant, à la différence des États-Unis, dans l’Hexagone, la « race » et l’origine ethnique ne se nomment pas explicitement. Comme l’explique Gwénaëlle Calvès « les politiques françaises de discrimination positive territoriale sont parfaitement conformes, dans leur conception, aux principes républicains: elles reposent sur la prise en compte non pas de ‘l’origine’ de leurs bénéficiaires, mais bien de leurs seules caractéristiques socio-économiques » (2004 : 31). À la faveur de ce subterfuge juridique et sémantique, on accorde de facto un traitement préférentiel aux populations originaires du Maghreb, d’Afrique Sub-saharienne et des départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM) sans que le principe d’indivisibilité du peuple français soit remis explicitement en cause. Les notions d’origine, de race et de religion, que l’article premier de la Constitution française frappe d’interdit, sont ainsi noyées dans une approche socioéconomique qui met pourtant en exergue, de façon tacite, la dimension ethnique, culturelle et religieuse de ces politiques.

Ce refus de désigner clairement les minorités ethniques ou raciales comme le font sans tabou les États-Unis en raison de leur histoire particulière, s’accompagne en France d’un discours pour le moins ambigu autour de la notion de « diversité ». Une nouvelle fois, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy — à qui l’on doit l’instauration du symbolique et controversé ministère de l’identité nationale et de l’immigration (2007-2010)[7] — s’impose comme l’un des principaux défenseurs de cette nouvelle approche qu’il associe fortement à la discrimination positive. Dans un discours prononcé en 2008 au sujet de sa « nouvelle politique pour les banlieues », il présente la nomination au sein de son gouvernement de trois femmes issues de la « diversité » — Fadela Amara, Rama Yade et Rachida Dati — comme une rupture historique indispensable afin que « dans certains quartiers, dans certaines banlieues, chacun puisse se reconnaître dans la nation et dans la République, pour que chacun retrouve confiance dans les institutions » (Geisser et Soum, 2008 : 206). En « intégrant » trois femmes d’origine immigrée dans les rouages de l’État, Nicolas Sarkozy faisait certes voler en éclat deux des tabous les plus ancrés dans l’inconscient collectif républicain, le sexe et la race, mais il contribuait aussi et surtout à fragmenter la société française et à galvauder l’idée de représentation. L’ancien maire de Neuilly-sur-Seine s’appuyait notamment sur l’interprétation de la « diversité » défendue par le juge Lewis Powell aux États-Unis en 1978, terme dont l’objectif était d’euphémiser la différentiation raciale pour rendre plus acceptable l’affirmative action (Sabbagh, 2009). En essentialisant Amara, Yade et Dati, Nicolas Sarkozy les cantonnait au rôle de représentantes de leurs communautés supposées et laissait planer le doute quant à leurs compétences et mérites.

Dans une posture ouvertement polémique, Walter Benn Michaels (2009), affirme que « la diversité n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité; c’est une méthode de gestion de l’inégalité ». Il est vrai que cette notion est porteuse de paternalisme et parfois d’exotisme. L’ouverture prônée n’est que relative et limitée dans la mesure où les postes à responsabilités sont toujours occupés — sauf exception — par les élites traditionnelles, masculines, « blanches » et judéo-chrétiennes. Et, lorsqu’une poignée de lycéens des zones d’éducation prioritaires (ZEP) est invitée à rejoindre les bancs de la prestigieuse et sélective Sciences Po en 2001, ses responsables avancent un critère de sélection pour le moins étrange : « L’originalité de cette nouvelle procédure n’est pas de sélectionner des candidats moins bons que les autres mais de retenir des candidats excellents qui ont des formes de culture, de visions du monde différentes » (Sabbagh, 2006). Cette réduction de l’individu à son appartenance ethnoculturelle est problématique. Sur la base de l’approche structuraliste proposée par Stuart Hall, on peut suggérer que la discrimination positive est un outil permettant de codifier la réalité au service de l’idéologie dominante. Sous couvert d’un discours a priori étranger à la notion de race, la discrimination positive véhicule l’idée selon laquelle la société ne serait intelligible que par le biais de la catégorisation raciale (Hall, 2007 : 100). Si la fiction républicaine empêche artificiellement de penser la « race », son objectivation par la discrimination positive annonce son retour, sa nouvelle modernité.

La fragmentation de la société n’est, au premier abord, pas le but recherché par la discrimination positive. Néanmoins, la catégorisation raciale implicite qu’elle suppose fait le jeu du phénomène raciste. Pourtant, si l’on s’en tient au discours, la France — y compris celle qui vote pour le Front National — se présente comme un pays tolérant et antiraciste. La preuve en est : la « race » et la couleur de l’épiderme ne se mentionnent pas, contrairement à des pays particulièrement marqués par l’esclavage comme les États-Unis, le Brésil ou Cuba. Tout se passe comme si ces différences visibles n’existaient pas ou qu’elles appartenaient à une autre époque[8]. L’ère post-raciale — toute relative — dans laquelle semblent être entrés les États-Unis depuis l’élection de Barack Obama a eu des échos contradictoires en France. La question de la « race » a fait irruption, de manière surprenante, durant la campagne de l’élection présidentielle de 2012 qui opposa François Hollande (PS) au candidat sortant Nicolas Sarkozy (UMP). L’ancien premier secrétaire du Parti Socialiste s’engagea à retirer le terme « race » de la Constitution au nom du souvenir de l’Holocauste tandis que son concurrent pensait au contraire que le souvenir de la Shoah imposait le maintien de ce terme. Alana Lentin et Valérie Amiraux soutiennent avec à-propos que ce rattachement de la « race » à un événement historique particulier revient à interdire l’emploi de ce terme en référence à d’autres problématiques comme le colonialisme par exemple.[9]

Le retour plus ou moins implicite de la « race » au centre des débats sur la modernité est sans doute le reflet d’une « mutation des structures de la haine » mais également « la continuation de l’histoire d’hier », pour reprendre les termes d’Etienne Balibar. Ce dernier s’oppose à l’idée reçue selon laquelle le racisme et la « race » appartiendraient au passé (2007). Paul Gilroy souligne d’ailleurs la « modernité alternative » et la singularité temporelle du concept de « race » qui s’ancre dans le passé esclavagiste et se prolonge dans la subordination des citoyens issus de cette tradition colonialiste (2000 : 76). Il devient dès lors relativement difficile de faire la part des choses entre ceux qui plaident pour un retour — masqué — de la « race » qui servirait à lutter de front contre les maux qui touchent la société française et ceux qui cherchent à taire ce concept au nom de principes immuables et non négociables. Ces apories s’éclairent notamment si l’on tient compte du fait que les usages politiques et idéologiques du passé constituent le fondement des discours au sujet de la discrimination positive.

UNE QUESTION DE TEMPORALITÉTop

Héritages coloniaux

Il serait trompeur d’envisager la discrimination positive comme un phénomène ponctuel et exclusivement propre à notre époque. Les ressorts de cette politique, loin de se limiter au temps court — caractérisant bien souvent les études sur la question — s’inscrivent dans une logique de longue durée. La discrimination positive, parce qu’elle renvoie tout autant au passé qu’au futur, s’articule autour d’une « tension entre expérience et expectative », pour le dire comme Koselleck (1993 : 342). Le devenir d’une Nation ne pouvant guère être esquissé sans un retour sur les fondements qui la constituèrent, les héritages du passé représentent la clé pour comprendre les attitudes culturelles et politiques de notre modernité (Saïd, 2000 : 54). L’atemporalité ou les temporalités multiples de la discrimination positive amènent à poser un regard différent sur les racines historiques sur lesquelles repose cette politique contemporaine.

La discrimination positive constitue un sujet sensible notamment parce que la « fracture coloniale » reste béante en France (Blanchard et al, 2005). Achille Mbembe établit d’ailleurs un rapport étroit entre les émeutes des banlieues parisiennes de 2005 et l’histoire coloniale du continent africain : « Après-tout [écrit-il], qu’il existe tant de citoyens français d’origine africaine parqués dans les ghettos est le résultat direct de la colonisation de parties de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb par la France au XIXe siècle » (2005). Il est évident que les jeunes français issus de l’immigration ressentent une double appartenance, celle d’être à la fois étrangers — par leurs traits et leurs origines — et citoyens français — de seconde zone sur le plan social —. Toute proportion gardée, ils sont en somme animés par cette sensation dont parlait Du Bois au sujet des Noirs Américains : « It is a peculiar sensation, this double-consciousness, this sense of always looking at one’s self through the eyes of others, of measuring one’s soul by the tape of a world that looks on in amused contempt and pity » (2006 : 9). Cette « double conscience » à la française est sans nul doute à l’origine de la violence dont certains font parfois preuve. L’agressivité ne représente, en fin de compte, qu’une réponse ou une riposte face à la stigmatisation mise en œuvre par le racisme d’État — le biopouvoir dirait Foucault — à leur endroit. Ces migrants postcoloniaux qui sont sans cesse traités de « racailles », de « délinquants » ou de « sauvageons » par certains des plus hauts dignitaires de la République, les prennent pour ainsi dire au mot et agissent en conséquence (Mbembe, 2005).

Ces termes méprisants ont pour fonction de désigner une « altérité intérieure » qui fait écho à l’ « altérité extérieure » de l’ancien empire colonial et esclavagiste français (Guénif-Souilamas, 2006 : 10-11). S’il serait erroné de dire que le régime colonial perdure, il n’en reste pas moins que les catégories du colonialisme sont toujours à l’œuvre de nos jours (Stoler et Cooper, 2013 : 97). Voilà très précisément la tension temporelle que la discrimination positive symbolise. Si l’insécurité identitaire est au centre des débats qui animent le champ républicain, c’est bien que le rapport à certains des aspects de l’histoire de France est problématique. La notion récente de « diversité » prolonge et modernise les concepts d’ « intégration », en vogue dans le dernier tiers du XXe siècle, et d’ « assimilation », terme qui s’imposa en France au XVIIIe siècle alors qu’il s’agissait de concilier les principes universalistes des Lumières et de la Révolution Française avec l’entreprise colonialiste (Cottias, 2007). Les projets coloniaux du XIXe siècle reposaient sur un équilibre complexe entre l’incorporation de certaines franges hétérogènes et populaires au sein de la société et la différentiation dont les élites avaient besoin afin d’affirmer leur caractère distinctif dans le cadre d’une conjoncture incertaine. Il va de soi que cette incorporation fut toujours balisée par ce qui relevait de l’intérêt national, selon une perspective élitiste. L’illusion de l’assimilation et le maintien de certaines distinctions socioculturelles avaient pour but de préserver l’ordre et la tranquillité de la Nation (Stoler et Cooper, 2013 : 30-31). L’entreprise colonisatrice de la France prenait ainsi les traits d’une mission civilisatrice dont les prérogatives étaient plus en accord avec les principes universalistes et égalitaristes qui étaient invoqués.

Nacira Guénif-Souilamas montre que « la dialectique colonisation-assimilation », qui s’est réinventée à travers les époques, « continue d’être opératoire tout en sophistiquant ses moyens d’oppression ». Elle précise que la « volonté hégémonique » qui se déploie désormais à l’intérieur des frontières hexagonales touche les migrants et leurs descendants. Ces derniers sont les victimes d’un processus de civilisation coercitif et moderne au sein duquel, « à l’exception de quelques spécimens bien choisis, l’autre n’a pas vocation à être là » (Guénif-Souilamas, 2006 : 10-13). Si les politiques de discrimination positive sont difficiles à assumer sur le plan éthique, dans les faits, des mesures de ce type à l’endroit des « indigènes » ou de leur progéniture existent depuis de nombreuses décennies. À cet égard, il convient de rappeler qu’entre 1956 et 1962, les Français Musulmans d’Algérie (FMA) bénéficièrent d’un traitement préférentiel dans l’administration et l’armée, ainsi qu’à l’École Nationale d’Administration (ENA) (Perreau, 2004). D’autre part, depuis les années 1980, les populations des DOM-TOM jouissent aussi de mesures dérogatoires au sein de la fonction publique ainsi qu’en matière de fiscalisation et d’accès à l’emploi (Calvès, 2004).

Qu’il s’agisse de la notion d’assimilation — et de ses ersatz — ou des actions positives en faveur de certains groupes de la population, ces mesures sont à situer dans le cadre d’une dynamique idéologique coloniale et postcoloniale. Bien que le droit n’ait semble-t-il eu aucun mal à admettre ces politiques, en dépit de leurs implications contraires aux principes républicains, il n’en va pas de même des débats historiographiques ou mémoriels ayant trait à la colonisation et à l’esclavage. Ces deux questions, passées sous silence ou considérées au prisme déformateur de la téléologie durant des décennies, font l’objet de débats passionnés depuis une quinzaine d’années.

Les usages de l’histoire

Puisqu’en effet nous sommes le fruit de générations antérieures, nous sommes aussi le fruit de leurs égarements, de leurs passions, de leurs erreurs, voire de leurs crimes: il n’est pas possible de se couper tout à fait de cette chaîne. Nous aurons beau condamner ces égarements et nous en croire affranchis, cela n’empêchera pas que nous en sommes les héritiers.
Friedrich Nietzsche (1990 : 113).

L’imaginaire national, autrement dit, la construction symbolique qui permet à une communauté de se définir elle-même, s’appuie bien souvent sur une vision téléologique et solipsiste de l’histoire. La France n’échappe pas à cet écueil. Le nouveau visage « hétérogène » que présente le pays oblige pourtant à prendre en compte la manière dont la colonisation et l’esclavage ont façonné son histoire au même titre que d’autres épisodes plus médiatisés. Or, les silences autour de la dimension « raciale » de la discrimination positive sont les mêmes que ceux qui entourent les questions des mémoires plurielles et de la reconnaissance des crimes commis par le passé. Dans ce contexte, particulièrement polémique depuis le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1998, les usages contradictoires du passé se sont invités dans la sphère publique et sur la scène politique. Le 10 mai 2001, le Sénat adoptait un projet de loi tendant à « la reconnaissance de la traite négrière et de l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité ». Cette loi défendue par la députée guyanaise Christiane Taubira marque une rupture historique et temporelle certaine. Reconnaître que la traite et l’esclavage sont des « crimes contre l’humanité » revient à leur donner un caractère imprescriptible et à inscrire ces pratiques dans « une atemporalité juridique étrangère à la durée dont s’occupe l’histoire » (Thomas, 1998 : 29). Le fait que le législateur se substitue au travail des historiens n’est pas sans poser problème. Dans un appel publié dans le journal Libération le 13 décembre 2005, plusieurs historiens de renom, parmi lesquels Marc Ferro, Pierre Nora, Mona Ozouf, Antoine Prost ou encore Pierre Vidal-Naquet expliquent que les lois mémorielles sont « indignes d’un régime démocratique ». À leurs yeux, « l’histoire n’est pas un objet juridique », ne doit pas être confondue avec la mémoire et ne doit pas non plus être « l’esclave de l’actualité ». En effet, précisent-ils : « l’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd´hui ».

Outre une métaphore maladroite (esclave de l’actualité), cette déclaration de principes est assez éloignée des subjectivités et des anachronismes « naturels » auxquels sont sujets les femmes et les hommes qui écrivent l’Histoire. On ne compte plus les travaux tendant à amnistier le passé colonial et esclavagiste de la France ou, tout du moins, à le présenter sous un jour relativement positif. Si l’histoire est « une arme politique utilisée pour donner sens au monde du passé selon une logique du présent », comme l’affirme Giovanni Levi (2001 : 25), il s’agit certainement d’un outil « pour se donner a posteriori le passé dont on voudrait être issu, par opposition à celui dont on est réellement issu », pour reprendre les mots de Nietzsche (1990 : 114). La demande de reconnaissance portée par la loi Taubira a été et continue d’être interprétée par d’aucuns comme un devoir de repentance et comme une volonté de générer une sorte de légende noire de l’histoire française. Il ne faut pas s’y tromper, les résistances de nombreux historiens n’ont pas pour seul objet de défendre leur indépendance, elles répondent aussi au dessein de préserver une certaine vision du récit national. Dans la mesure où le savoir relatif à l’histoire coloniale est jugé dangereux pour les valeurs républicaines et l’identité traditionnelle de la France, il s’agit d’en donner une version plus acceptable.

C’est sans nul doute l’un des propos non avoués de l’ouvrage de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d’histoire globale. Comme un symbole, ce travail publié en 2004 fut récompensé par le prix du Sénat, assemblée qui avait pourtant voté la loi Taubira trois ans plus tôt. Ce spécialiste de la traite négrière nantaise n’hésite pas à s’en prendre ouvertement à cette loi en stigmatisant les « choix identitaires » des Noirs et en alimentant la concurrence mémorielle par la confusion des statistiques et de la sémantique. Les chiffres — sujets à caution — qu’il donne de la déportation d’Africains dans le cadre des traites occidentale (11 millions) et orientale (17 millions), tendent à dédouaner par la comparaison l’Occident de sa responsabilité. Cependant, comme le souligne Marcel Dorigny, « les durées ont été très différentes : quatre siècles au plus pour la traite atlantique et vers l’océan indien, plus de treize siècles pour la traite trans-saharienne » (2005). Le fait que des Noirs et des Arabes aient également pris part à l’entreprise esclavagiste sert en quelque sorte d’alibi aux puissances esclavagistes européennes et fait le jeu de ceux qui, sous couvert d’une approche nuancée, jettent le flou sur les responsabilités de chacun. Il s’agit de renvoyer victimes et coupables sur un même plan afin que la traite et l’esclavage des Noirs ne puissent être envisagés comme des crimes contre l’humanité (Vergès, 2006 : 142-143). Dans une interview parue dans Journal du Dimanche du 12 juin 2005 dans laquelle il répondait à une question au sujet de l’antisémitisme présumé de l’humoriste franco-camerounais Dieudonné M’bala M’bala, Pétré-Grenouilleau, tout en précisant qu’il n’y avait pas « d’échelle de Richter des souffrances » se livrait pourtant à une comparaison alimentant la concurrence mémorielle :

Cette accusation contre les Juifs est née dans la communauté noire américaine des années 1970. Elle rebondit aujourd’hui en France. Cela dépasse le cas Dieudonné. C’est aussi le problème de la loi Taubira qui considère la traite des Noirs par les Européens comme un « crime contre l’humanité », incluant de ce fait une comparaison avec la Shoah. Les traites négrières ne sont pas des génocides.

L’usage de la notion de « crime contre l’humanité » n’est pourtant pas anachronique dans la mesure où, à la veille de l’abolition en 1848, l’abolitionniste Victor Schœlcher qualifia l’esclavage de « crime de lèse-humanité » (Schmidt, 2000 : 332). Par ailleurs, en associant et en confondant à escient les termes de « génocide » et de « crime contre l’humanité », Pétré-Grenouilleau contribuait à entretenir le paradigme de la mémoire exclusive, déjà évoqué au sujet de la « race », faisant de la Shoah le crime absolu (Weil, 2008 : chap. III; Tobner, 2007 : 280-281). En 2005, le philosophe Alain Finkielkraut eut d’ailleurs des propos qui heurtèrent profondément de nombreux Antillais (et au-delà) : sur les ondes de la Radio de la Communauté Juive (RCJ), il stigmatisa « les victimes antillaises de l’esclavage qui vivent aujourd´hui de l’assistance de la métropole » (Vergès, 2005a : 47). En somme, nombre de Français issus de l’immigration se voient ainsi refuser le droit de se référer à une histoire douloureuse, même si c’est précisément au nom de ce passé que sont instituées les politiques de discrimination positive.

DÉSIRS ET DÉNIS DE RECONNAISSANCETop

Mérite et subjugation

Le médecin noir ne saura jamais à quel point sa position avoisine le discrédit.
Frantz Fanon (1975 : 94).

L’œuvre de Frantz Fanon renferme l’un des meilleurs outils conceptuels afin d’analyser les questions imbriquées de la reconnaissance et du rapport au passé. Dans Peau noire, masques blancs [1952], il souligne que « le problème abordé ici se situe dans la temporalité. Seront désaliénés les Nègres et les Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé » (1975 : 183). Comme le précise Françoise Vergès, loin d’être une injonction à l’oubli, l’assertion de Fanon est plutôt une invitation au dépassement (2006 : 34). Le psychiatre martiniquais s’opposait à toute idée de réparation pour les crimes du passé et pensait que le salut de l’Homme — qui n’était à ses yeux ni Noir ni Blanc — passait par la reconnaissance mutuelle (Fanon, 1975 : 185-187). Dans les lignes qui suivent, on verra que la reconnaissance, notion à la base de sa pensée, est susceptible d’expliciter certaines zones d’ombre de la discrimination positive. Frantz Fanon n’envisage pas seulement le racisme comme une structure sociale, il pense qu’il est essentiel d’en saisir les effets psychologiques par le biais d’une approche phénoménologique (Balibar, 2005 : 25). Ce type d’analyse permet de montrer à quel point les catégories du colonialisme sont ancrées dans l’ère postcoloniale qui est la notre et dans quelle mesure cette imprégnation de la subjugation a à voir avec la notion de reconnaissance.

Charles Taylor explique que de nombreux enjeux des politiques contemporaines tournent autour du besoin et parfois de la demande de reconnaissance : « l’exigence de reconnaissance » constitue à ses yeux « un besoin humain vital » qu’il prend soin de lier à la notion d’identité. Il s’avère, en effet, que l’ « identité est en partie déterminée par la reconnaissance ou son absence » et qu’un individu ou des groupes de personnes « peuvent souffrir de réels préjudices, une vraie distorsion, si les gens ou la société qui les entourent leur renvoient une image réductrice, humiliante ou méprisante d’eux-mêmes ». Dans ce sens, le manque de reconnaissance, qui peut avoir des conséquences néfastes sur les personnes qui en souffrent, est assimilable à une forme d’oppression (Taylor, 1994 : 25). Axel Honneth explique pour sa part que la « reconnaissance » sous-tend trois types d’attitudes interpersonnelles : l’amour, le respect et l’estime. Le respect et l’estime de soi constitueraient les clés pour que l’individu développe une attitude positive envers lui-même et, qu’en conséquence, il puisse s’intégrer à la société. Cette sensation d’exister ou pas dans le regard des autres, qui n’est pas sans rappeler une nouvelle fois la « double conscience » de Du Bois, renvoie évidemment à Hegel pour qui la reconnaissance réciproque des facultés et qualités de chacun — autrement dit, les mérites — sont essentiels pour qu’un être s’affirme dans son identité et ses particularités (Honneth, 1997 : 28). Or, un rapide regard rétrospectif sur les implications phénoménologiques de l’affirmative action américaine — qui nous intéresse ici au premier chef en cela qu’elle représente à la fois une référence et un contre-modèle pour la France — sera l’occasion d’observer que le mérite constitue l’un des points d’achoppement de cette politique versatile.

Il convient tout d’abord de rappeler que le mérite représente l’une des valeurs invoquées par les Noirs Américains dans leur lutte pour que leurs droits soient reconnus. Dans son autobiographie publiée en 1901, Up from slavery, l’enseignant et militant mulâtre Booker T. Washington élevait le mérite au rang de loi humaine, universelle et éternelle : « Every persecuted individual and race should get much consolation out of the great human law, which is universal and eternal, that merit, no matter under what skin found, is, in the long run, recognized and rewarded » (40-41). Cette posture élitiste, qui se fondait sur les valeurs de la société blanche, laissa place, à partir des années 1920, au mouvement de la Renaissance Noire qui plaçait les racines africaines au centre de la lutte pour la reconnaissance, idéologie qui finit par s’imposer dans les années 1960 avec le « Black Power ». En dépit de leurs différences, ces deux approches de l’identité noire-américaine (assimilationniste dans la période post-abolitionniste et particulariste par la suite) reposaient sur l’idée que la quête de reconnaissance passait par une certaine forme de perfectionnement et d’excellence (Martin-Breteau, 2013) qui tranchait considérablement avec l’assistanat induit par l’affirmative action.

Si une grande majorité de la population blanche s’opposa à l’instauration de l’affirmative action aux États-Unis à partir des années 1960, certaines figures de la communauté noire américaine mirent également l’accent sur les conséquences négatives de cette politique. Pour exemple, l’intellectuel Shelby Steele dénonça la stigmatisation et la vanité de ce traitement préférentiel pour les Noirs :

Du fait des préférences raciales, les Blancs apparaissent comme plus qualifiés qu’ils ne le sont, alors que les Noirs se trouvent injustement marqués du sceau de l’infériorité. Cette situation renforce le plus profond des mythes américains et contribue à stigmatiser ceux qui le sont déjà : les Noirs. Le traitement préférentiel ne fait naître aucune motivation, n’a aucune valeur éducative et n’enseigne aucun savoir-faire (Boéton, 2003 : 177).

En 2013, Clarence Thomas, juge de la Cour Suprême des États-Unis, va plus loin dans la critique de l’affirmative action en comparant cette politique aux discriminations raciales exercées du temps de l’esclavage et de la Ségrégation. En effet, selon lui, les mesures discriminatoires en faveur des minorités ethniques prises par certaines universités américaines sont loin d’être bienveillantes : « Following in these inauspicious footsteps, the University would have us believe that its discrimination is likewise benign. I think the lesson of history is clear enough: Racial discrimination is never benign ». Son parcours est à cet égard édifiant quant à la frustration ressentie par les « bénéficiaires » de telles mesures : ayant suivi des études de droit à Yale, l’une des plus grandes universités du pays, il est catégorique lorsqu’il évoque la valeur, tant réelle que symbolique, de son diplôme : « I’d graduated from one of America’s top law schools, but racial preference had robbed my achievement of its true value ».[10] Cette vision de l’un des juges les plus conservateurs de la Cour Suprême — qui est à rapprocher de l’exemple du médecin noir de Frantz Fanon cité en épigraphe — montre à quel point cette politique du résultat laisse toujours planer le doute quant aux mérites et aux capacités réelles de ceux qui en bénéficient, même s’il s’agit de personnalités au sommet de l’État.

L’un des cas les plus édifiants en la matière est sans nul doute l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Dans les années 1990, alors qu’il dirigeait la prestigieuse Harvard Law Review — une première pour un Mulâtre —, Obama disait de l’affirmative action qu’elle était « absolument nécessaire » et que « le succès de la mesure [parlait] d’elle-même ». Dans les années qui suivirent, cette fois-ci dans la peau du Sénateur de l’Illinois, Obama n’en démordait pas et se présentait lui-même comme « un produit de l’affirmative action ».[11] Cependant, dans son désormais célèbre discours intitulé « De la race en Amérique », qui représenta un point d’inflexion dans la campagne présidentielle de 2008, Barack Hussein Obama faisait volte face et s’inscrivait en faux contre ceux qui pensaient que sa candidature n’était que le fruit de l’affirmative action : « […] on a laissé entendre que ma candidature était, d’une façon ou d’une autre, un exercice de discrimination positive, qu’elle était fondée sur le désir de quelques naïfs gauchisants de s’offrir une réconciliation raciale à peu de frais » (Obama, 2008 : 32). Obama affirmait que pour comprendre la réalité des États-Unis, un retour sur l’histoire s’imposait. Et, s’il citait volontiers William Faulkner — « le passé n’est pas mort et enterré. En fait, il n’est pas encore passé » (30-40) —, le discours du futur président américain prenait des accents fanoniens lorsqu’il évoquait la nécessité pour la communauté afro-américaine « d’accepter les fardeaux de notre passé sans en devenir les victimes » (47).

Les violentes émeutes qui touchèrent la petite ville de Fergusson en novembre 2014 sont du reste là pour attester du caractère limité des politiques d’action positive et des relents de ségrégation raciale dont souffre encore la population afro-américaine. Cette communauté n’est d’ailleurs pas homogène puisqu’il existe un hiatus entre les Noirs nés sur le territoire américain et les immigrés d’origine africaine ou antillaise dont plusieurs études montrent qu’ils sont de fait les principaux bénéficiaires de l’affirmative action. Qu’il s’agisse du secteur privé ou de l’université, cette variable met une nouvelle fois en lumière le poids de l’histoire dans les fondements et les applications de cette mesure contemporaine. Dans un article paru dans Le Monde Diplomatique en 2007, John D. Skrentny s’interrogeait d’ailleurs à juste titre : « Est-ce alors un hasard si les deux personnalités noires les plus souvent citées ces dernières années comme potentiels présidents des États-Unis, Colin Powell et Barack Obama, sont l’un et l’autre fils d’immigrés et non descendants d’esclaves ? ». Pourtant, l’un des actes fondateurs de l’affirmative action aux États-Unis, le discours du président Lyndon B. Johnson « To fulfill these rights », plaçait la question de l’esclavage au centre de cette politique :

But freedom is not enough. You do not wipe away the scars of centuries by saying: Now you are free to go where you want, and do as you desire, and choose the leaders you please. You do not take a person who, for years, has been hobbled by chains and liberate him, bring him up to the starting line of a race and then say, “You are free to compete with all the others” and still must believe that you have been completely fair (Katznelson, 2005 : 175).

Les paroles de Johnson, si elles en appelaient à l’idée de justice, n’en étaient pas moins empreintes d’un paternalisme qui rappelle à certains égards l’abolitionnisme blanc du XIXe siècle, idéologie a priori obsolète mais dont les principes imprègnent de façon implicite l’éthique de la discrimination positive.

La dette de l’abolition : la lutte impossible

Dans De la démocratie en Amérique [1835], Alexis de Tocqueville assurait que « le nègre » ayant « perdu jusqu’à la propriété de sa personne, (…) ne saurait disposer de sa propre existence sans commettre une sorte de larcin » (1986 : 470). Le penseur libéral français enfermait le Noir dans une position de soumission perpétuelle en précisant que l’esclave, « s’il devient libre, l’indépendance lui paraît souvent alors une chaîne plus pesante que l’esclavage même; car dans le cours de son existence, il a appris à se soumettre à tout, excepté à la raison; et quand la raison devient son seul guide, il ne saurait reconnaître sa voix » (469). Tocqueville décrivait un processus contradictoire selon lequel les préjugés à l’endroit des Noirs grandissaient à mesure que l’inégalité s’effaçait dans les lois. De plus, soulignait-t-il, « les nègres peuvent rester longtemps esclaves sans se plaindre; mais entrés au nombre des hommes libres, ils s’indigneront bientôt d’être privés de presque tous les droits de citoyens ; et ne pouvant devenir les égaux des Blancs, ils ne tarderont pas à se montrer leurs ennemis » (526). C’est sans doute afin de dissiper cette sensation de peur que les abolitionnistes blancs — qui répondaient tout autant à des considérations d’ordre moral qu’économique — s’employèrent à véhiculer une vision rassurante de l’esclave noir qu’il convenait de libérer de ses chaînes. L’abolitionnisme européen s’appuyait à la fois sur l’image de l’esclave docile et sur la reconnaissance — autrement-dit, la soumission — que celui-ci éprouverait une fois libéré, comme le suggère la célèbre icône de l’abolitionnisme britannique qui présentait un esclave noir agenouillé implorant ses bienfaiteurs et leur adressant une question qui laissait volontairement planer le doute sur la nature de la réponse « Am I not a man and a brother ? » (Illustration 1)[12].

llustration 1: “Anti-slavery medallion”, Josiah Wedgwood (1787)
(http://www.britishmuseum.org/)
© Trustees of the British Museum.

L’iconographie utilisée en France se nourrissait de la même logique paternaliste et représentait le plus souvent l’image d’un ancien esclave reconnaissant envers ses libérateurs. C’est le cas, par exemple, de la lithographie intitulée « La République instruisant ses enfants » (Illustration 2, p. 11), dans laquelle un enfant noir passif semble avoir besoin d’une attention particulière tandis que ses camarades blancs s’adonnent à toute sorte d’activités intellectuelles et artistiques.

llustration 2: “La République instruisant ses enfants”, Courtois (1848)
(gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France).

À cet égard, le travail de Nelly Schmidt (2000 : 376-383) met en lumière la teneur des discours des abolitionnistes français au lendemain de l’abolition décrétée en 1848. Destinés aussi bien aux anciens esclaves qu’aux anciens maîtres, ils s’articulaient autour de concepts tels que le travail, l’ordre social ou encore le respect de la propriété. Cette rhétorique ne se contentait pas de préserver les « droits » des anciens propriétaires, elle incitait à l’« oubli » du passé esclavagiste et mettait en exergue non seulement les « devoirs » mais aussi les « dettes » qu’impliquait la liberté. Ce passage extrait d’un discours de Sarda-Garriga, commissaire général de la République, à l’adresse des anciens esclaves de La Réunion illustre bien ce propos :

N’oubliez pas, frères qui allez être les nouveaux élus de la cité, que vous avez une grande dette à payer à cette société dans laquelle vous êtes près d’entrer. (...) La liberté élève le travail à la hauteur du devoir. Être libre, ce n’est pas la faculté de ne rien faire, de déserter les champs, les industries. Être libre, c’est l’obligation d’utiliser son temps, de cultiver son intelligence, de pratiquer sa religion (…) (Schmidt, 2000 : 376).

Les arguments de Victor Schœlcher étaient de nature analogue. Bien qu’il qualifia l’esclavage d’ « assassinat », il estimait que ce système avait été « institué et maintenu légitimement » et qu’il fallait y mettre un terme sans plus attendre, dans l’intérêt des esclaves comme des propriétaires : « Abolissons, abolissons l’esclavage, aujourd’hui plutôt que demain pour sauver ensemble le bourreau et le supplicié, le maître et l’esclave » (Coquio, 2008 : 33). En outre, pour convaincre les nouveaux citoyens de la Guadeloupe de voter lors de élections d’avril 1849, le comité électoral schœlchériste demanda aux anciens esclaves de ne pas oublier ceux qui avaient « combattu pour [leur] assurer le triomphe de la liberté et l’[avaient] obtenue pour eux » (Schmidt, 2000 : 379). Les discours des abolitionnistes français, tant en amont qu’en aval de l’abolition, relevaient d’un savant dosage entre les devoirs, l’oubli et la reconnaissance demandés aux esclaves et les droits accordés aux anciens maîtres qui apparaissaient comme les principales victimes du système. À cela venait s’adjoindre le souvenir téléologique de la seconde abolition de 1848, la première, celle de 1794, ayant fait long feu. Roger Botte évoque, pour l’Afrique, une émancipation qui « se réalise non seulement dans une société politiquement assujettie, la société colonisée, mais les Africains n’en sont nullement les acteurs » (2000 : 29). Cette rhétorique ôtait toute faculté d’action aux esclaves et plongeait leurs descendants dans une spirale de dette et de reconnaissance envers ceux qui leur auraient accordé la liberté.

Le rapport du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage adressé au Premier Ministre en 2005 montre bien que l’historiographie française a, d’une manière générale, intégré et perpétué cette rhétorique en contribuant à instituer une opposition entre la mémoire de l’esclavage — c’est-à-dire des sociétés issues de l’esclavage — et la mémoire de l’abolition — associée à la France Métropolitaine — (Vergès, 2005b : 17). Ériger l’abolition de 1848 au rang d’acte fondateur de la citoyenneté française et glorifier la personne de Victor Schœlcher lors des commémorations de 1948 et 1998 revenait à passer sous silence les horreurs de l’esclavage et à taire les luttes et résistances des esclaves. En rappelant les paroles prononcées par Aimé Césaire le 27 avril 1948 à La Sorbonne, qui jugeait que l’émancipation de 1848 fut à la fois « immense et insuffisante », Françoise Vergès précise que « vouloir se limiter au seul événement de l’abolition, c’est vouloir consciemment effacer la perpétuation du racisme, de la violence coloniale et de l’exploitation brutale de celles et ceux qui travaillent dans les sociétés post-esclavagistes » (2005a : 55). Cette approche sélective et partiale de l’histoire contribue non seulement à véhiculer l’image généreuse d’une France abolitionniste, mais elle plonge également les descendants d’esclaves dans une inessentialité historique les privant par là-même de toute possibilité de reconnaissance.

Dans l’un des chapitres les plus suggestifs de Peau noire, masques blancs intitulé « Le Nègre et Hegel », Frantz Fanon entreprend de se pencher sur l’expérience vécue des Noirs à travers le prisme de la doctrine de la reconnaissance. Hegel, qui selon toute probabilité construisit le propos de la Phénoménologie de l’esprit [1807] à la suite de la révolution haïtienne (1791-1804) (Buck-Morss, 2006) — événement encore largement méconnu en France —, affirme que la liberté ne peut être un don et que l’esclave est l’agent de sa propre émancipation en cela qu’il est tenu de risquer sa vie pour l’obtenir :

Et c’est seulement par la mise en jeu de la vie qu’est ainsi éprouvée et avérée la liberté […]. L’individu qui n’a pas mis sa vie en jeu peut, certes, être reconnu comme personne; mais il n’est pas parvenu à la vérité de cette reconnaissance, comme étant celle d’une conscience de soi autonome (Hegel, 1993 : 153).

Or, la pensée de Fanon souligne précisément le décalage entre la dialectique hégélienne et l’idéologie abolitionniste :

II n’y a pas de lutte ouverte entre le Blanc et le Noir. Un jour le Maître Blanc a reconnu sans lutte le nègre esclave. Mais l’ancien esclave veut se faire reconnaître. Il y a, à la base de la dialectique hégélienne, une réciprocité absolue qu’il faut mettre en évidence (Fanon, 1975 : 175-176).

L’émancipation décrétée par les maîtres mettait certes fin à l’esclavage en tant qu’institution mais elle perpétuait également, bien qu’insidieusement, le rapport de soumission qui existait avant 1848. La réciprocité dont parle Hegel n’est pas de mise dans la relation qu’entretiennent anciens maîtres et anciens esclaves aux yeux de Fanon. L’idée de lutte est au centre de son argumentation. Il explique qu’ « historiquement le nègre, plongé dans l’inessentialité de la servitude, a été libéré par le maître. Il n’a pas soutenu la lutte pour la liberté » ; en somme, « le Noir a été agi ». Il poursuit son amer constat en ces termes : « Le nègre est un esclave à qui on a permis d’adopter une attitude de maître. LeBlanc est un maître qui a permis à ses esclaves de manger à sa table » (179). Nulle trace de lutte dans ce tableau. Pour Fanon, c’est justement dans l’absence de combat que réside le problème des Noirs de France, qu’il prend soin de distinguer des Noirs américains :

L’ancien esclave exige qu’on lui conteste son humanité, il souhaite une lutte, une bagarre. Mais trop tard: le nègre français est condamné à se mordre et à mordre. Nous disons le Français, car les Noirs américains vivent un autre drame. En Amérique, le nègre lutte et il est combattu. Il y a des lois qui, petit à petit, disparaissent de la constitution. Il y a des décrets qui interdisent certaines discriminations. Et nous sommes assurés qu’il ne s’agit pas alors de dons. Il y a bataille, il y a défaites, trêves, victoires (Fanon, 1975 : 179).

Un beau jour, synthétise Fanon, « le Blanc en tant que maître a dit au Nègre : ‘‘Désormais, tu es libre’’ ». Cependant, « le Nègre ignore le prix de la liberté, car il ne s’est pas battu pour elle » (1975 : 179). Et quand bien même le « Nègre » voudrait se faire reconnaître en luttant contre le Blanc, ce dernier l’en empêcherait en recourant à une rhétorique de l’égalité :

Quand il arrive au nègre de regarder le Blanc farouchement, le Blanc lui dit : « Mon frère, il n’y a pas de différence entre nous. » Pourtant le nègre sait qu’il y a une différence. Il la souhaite. Il voudrait que le Blanc lui dise tout à coup : « Sale nègre. » Alors, il aurait cette unique chance de « leur montrer... ». Mais le plus souvent il n’y a rien, rien que l’indifférence, ou la curiosité paternaliste (1975 : 179).

La dette de l’abolition se situe premièrement dans le paternalisme et le pseudo-égalitarisme qui étouffent et nient toute forme de lutte de la part de l’esclave; dès lors, la reconnaissance, telle qu’elle est envisagée par Hegel, se révèle impossible. En deuxième lieu, cette impasse historique et existentielle impose au Noir d’agir en fonction « de valeurs secrétées par les maîtres » (179).

La liberté « généreusement » octroyée en 1848 a un coût que les descendants d’esclaves continuent de payer de nos jours. L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou affirme que « l’assistance n’est que le prolongement subreptice de l’asservissement » (2012 : 18). Sous cet angle, la discrimination positive peut être envisagée comme une politique paternaliste qui perpétue et transpose les valeurs de l’abolitionnisme blanc au sein des rouages administratifs, éducationnels, économiques et politiques de la société contemporaine. La parenté entre les implications éthiques de l’abolitionnisme et la discrimination positive m’amène à postuler qu’en tant que politique d’assistanat, l’affirmative action à la française a pour conséquence — et peut-être pour fonction — d’empêcher toute possibilité de reconnaissance aux individus qui en bénéficient et contribue ainsi à consolider l’hégémonie des élites traditionnelles.

CONCLUSION : UNE HOMOGÉNÉITÉ HÉGÉMONIQUETop

Tu es « nous ».
Frantz Fanon (1975 : 56)

L’équilibre normatif que cherche à établir la discrimination positive n’est cependant pas à minimiser. Cette politique corrective a en partie pour effet de mettre au jour l’hégémonie du secteur majoritaire et dominant de la société qui d’ordinaire ne se nomme pas, même s’il impose ses valeurs et ses règles aux groupes minoritaires et subalternes (Guillaumin, 1992 : 294). Pour autant, les élites sociales et politiques offrent un visage homogène qui contraste singulièrement avec la physionomie multiculturelle et pluriethnique de la France d’aujourd’hui. Ce pouvoir, qui continue à se reproduire au sein d’une même « caste » sous couvert d’une méritocratie sélective, n’est pas sans rappeler le phénomène des « héritiers » sur lequel Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964) s’étaient penchés dans les années 1960. Malgré cela, force est de constater que les avantages immérités, les « white skins privileges » conceptualisés par Peggy McIntoch (1989), sont toujours d’actualité, en dépit de leur remise en cause théorique et artificielle par la discrimination positive.

On a vu que la discrimination positive, que l’on présente le plus souvent comme un mécanisme visant à établir l’équité, se heurte aux principes égalitaires de la République et donne un souffle nouveau à la « race », même si ce concept reste tabou en France. L’héritage colonial et esclavagiste entretient un lien de cause à effet avec la discrimination positive et, pourtant, le rapport à cette histoire demeure problématique et contradictoire. Les traitements préférentiels instaurés dans des domaines tels que l’aménagement du territoire, la fonction publique, les Grandes Écoles, l’audiovisuel ou encore le monde politique exposent ceux qui en bénéficient au scepticisme quant à leurs capacités et mérites. Dans sa critique acerbe de l’affirmative action, Walter Benn Michaels soutient que cette politique implique un véritable retournement des valeurs en cela qu’elle ne se contente pas de « [violer] les principes de la méritocratie » mais « qu’elle génère l’illusion qu’il existe une véritable méritocratie » (2009) dont les élites sont les véritables bénéficiaires.

Dans son ouvrage récent, Pour une histoire politique de la race, Jean-Frédéric Schaub suggère que la position raciste « identifie les personnes et les groupes pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’il font », ce qui « revient à les définir par ce qui apparaît, à première vue, comme guère modifiable en eux, ou pas du tout » (2015 : 13-14). Ce contraste entre les origines (être) et les mérites (faire) forme le terreau commun du racisme et de la discrimination positive. Néanmoins, l’un des grands dangers représentés par la discrimination positive tient au fait qu’elle repose sur une mécanique performative opérant comme un déni de racisme qui a tendance à brouiller les pistes du combat contre les discriminations. Parce qu’elle répond à une logique d’essentialisation, l’action « positive » de favoriser une personne issue d’une minorité ou d’un groupe déjà marqué par le racisme a de grandes chances d’engendrer un deuxième degré de racisme. En effet, assister une personne victime de discriminations devant l’Histoire et au quotidien revient, d’une certaine manière, à renforcer ces discriminations. Les rhétoriques propres à l’abolitionnisme, à la colonisation, à l’assimilation, à l’intégration ou à la diversité relèvent au fond d’une même dynamique qui vise à pérenniser l’ordre hiérarchique et inégalitaire de la République (Guénif-Souilamas, 2006 : 7). Ces idéologies qui se succèdent dans le temps s’articulent toutes selon une dialectique entre l’exclusion de l’altérité et son inclusion relative.

Comme le souligne Philomena Essed, « l’injustice sociale, ce n’est pas seulement l’exclusion de l’Altérité; c’est aussi l’inclusion sélective, et surtout l’inclusion de plus de même » (2005 : 104). Cette « préférence pour l’identique », qu’Essed conceptualise sous l’appellation de « clonage culturel » représente une clé analytique afin de comprendre que le but recherché par la discrimination positive n’est pas la valorisation de la différence mais bien la reproduction, la pérennisation de l’ « identique », c’est-à-dire la conjonction de certains critères tels que le sexe, l’ethnie, le statut social et la nationalité. Le caractère différentialiste de la discrimination positive, autrement dit la volonté affichée d’intégrer la diversité, ne doit pas cacher que cette politique constitue une fiction ayant comme objectif de préserver une certaine homogénéité et de renforcer les espaces de privilège. Plus qu’une culture de la différence, la discrimination positive, entendue comme une politique d’inclusion sélective, sanctionne et organise une culture de l’exception. Le « clone culturel » incarné par l’individu « discriminé positivement » ne représente donc que l’exception qui confirme la règle.

Cette émulation circonscrite et orientée renvoie une nouvelle fois à la pensée de Frantz Fanon pour qui « la civilisation blanche, la culture européenne ont imposé au Noir une déviation existentielle » (1975 : 11). Ce schisme se traduit dans l’idée que le Noir ne veut pas « être reconnu comme Noir, mais comme Blanc » (Fanon, 1975 : 56). Ce processus est mis en évidence par le cas des étudiants « de couleur » en France que l’on refuse, selon Fanon, de « considérer comme d’authentiques nègres » dans la mesure où « le nègre c’est le sauvage, tandis que l’étudiant est un évolué ». Le « tu es ‘‘nous’’ » qu’adresse Coulanges, un étudiant blanc, à son camarade « de couleur » souligne l’un des ressorts racistes de la discrimination positive pratiquée dans certaines des plus grandes écoles de la République :

— Vois-tu, mon cher, le préjugé de couleur, je ne connais pas cela... Mais comment donc, entrez, monsieur, chez nous le préjugé de couleur n’existe pas... Parfaitement, le nègre est un homme comme nous... Ce n’est pas parce qu’il est noir qu’il est moins intelligent que nous... J’ai eu un camarade sénégalais au régiment, il était très fin (Fanon, 1975 : 91).

Ce Noir « très fin » ressemble à s’y méprendre au « bon nègre » présent dans la littérature esclavagiste du XIXe siècle[13]. La fonction de la création de tels « personnages conceptuels », pour reprendre la notion de Deleuze et Guattari (1991), n’est-elle pas de façonner une image rassurante d’une France en proie au changement de son corps social ? L’un des propos non-avoués de la discrimination positive est sans doute de tenter de gommer, au moins sur le plan symbolique, l’altérité négative et dangereuse incarnée par ces Françaises et Français issus de l’immigration dont l’épiderme et les traits portent l’empreinte indélébile du colonialisme et de l’esclavage. Paradoxalement, cette « intégration » par la stigmatisation implique, comme s’en était ému Fanon, qu’une couleur de peau serait « dépositaire de valeurs spécifiques » (1975 : 184). Du reste, Nacira Guénif-Souilamas juge que la discrimination positive relève au fond d’une « logique d’ethnicisation » et « consiste à aménager à la marge un système structurellement inégalitaire sans le réformer ».[14]

Les voix qui s’élèvent contre la discrimination positive mettent souvent l’accent sur le caractère opportuniste et immérité de cette politique pour les personnes qui en sont l’objet mais plus rarement, voire jamais, sur les raisons et le passif qui poussent les élites à assumer une position qui, au premier abord, ne les concerne pas. Le « consentement spontané » à l’hégémonie culturelle des élites par les groupes subalternes théorisé par Antonio Gramsci (1983) n’est-il pas le but recherché par cette politique ? Cet assentiment face à une situation qui semble « aller de soi » est déterminé historiquement par le prestige et l’estime de soi dont jouissent les élites traditionnelles. Celles-ci s’appuient sur un passé fait de domination et de victoires lequel tranche considérablement avec le manque de reconnaissance chronique dont souffrent les « minorités visibles » qui sont pourtant supposées tirer profit des politiques de discrimination positive.

En envisageant cette politique contemporaine à l’aune des schémas rhétoriques hérités du temps colonial et esclavagiste de la France, j’ai tenté de mettre en perspective et de prendre à contre-courant les arguments généralement invoqués tant par les défenseurs de la discrimination positive que ceux s’y opposant : les premiers, sous couvert d’une « véritable » prise en compte de la « diversité » de la société française, alimentent, plus ou moins consciemment, la pensée raciste; les seconds, prisonniers de l’illusion républicaine — également empreinte de racisme — ont du mal à porter un regard plus nuancé sur les nouvelles réalités sociales et culturelles que connaît la France ces dernières décennies.

Ce n’est pas un hasard si les débats autour de cette « discrimination inversée » font écho à la crise de l’égalité que nous traversons aujourd’hui et dont Pierre Rosanvallon souligne avec justesse les maux : « nationalisme, protectionnisme, xénophobie ». Le remède à ces pathologies identitaires et de repli sur soi, selon Rosanvallon, est à chercher dans « l’esprit de l’égalité tel qu’il s’était forgé dans les révolutions américaine et française. L’égalité avait alors été appréhendée au premier chef comme une relation, comme une façon de faire société, de produire et de faire vivre le commun » (Rosanvallon, 2011 : 20-22). L’égalité-relation qu’il suggère évoque l’identité-relation chère à Édouard Glissant, dont le revers négatif, l’identité-racine (1990 : 156), symbolise le piège tendu par la discrimination positive. Pour l’heure, les silences concernant le passé esclavagiste et colonial de la France s’érigent comme des obstacles trop imposants pour que l’on puisse entrer de plein pied dans l’ère post-raciale qu’un autre Antillais, Frantz Fanon, appelait de ses vœux : « l’universalité réside dans cette décision de prise en charge du relativisme réciproque de cultures différentes une fois exclu irréversiblement le statut colonial » (2001 : 55). En d’autres termes, le combat — utopique, il est vrai — pour tendre vers une authentique égalité ne saurait faire l’économie d’un retour sur un passé qui, s’il est douloureux, fait partie intégrante d’une identité française mouvante qui gagnerait à s’enrichir de ses altérités.



NOTESTop

[1]

Ben Jelloun, Tahar (2005) « Un défi républicain: la discrimination positive à la française ». Ouverture du colloque « discrimination positive à la française » qui s’est tenu au Ministère de l’Intérieur le 26 octobre. http://www.taharbenjelloun.org/index.php?id=47&tx_ttnews%5Btt_news%5D=145&cHash=4d98a4e0c0f5dccdcef49aa5cdcb07c6. [consulté 12/février/2014]

[2]

Sur cette question, se référer notamment à Sayad (1996).

[3]

C’est moi qui souligne.

[4]

Il convient de préciser que la gauche mène aussi une politique d’ethnicisation de la représentation politique depuis le début des années 2000, même si elle le fait à un degré moindre que la droite.

[5]

« Principales réactions à la conférence de presse de vœux de Nicolas Sarkozy, mardi 8 janvier ». 10/01/2008. http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20080108.OBS4087/les-reactions.html. [consulté 13/avril/2014].

[6]

Fourest, Caroline (2008) « La diversité contre l’égalité ». Le Monde, 17 janvier 2008.

[7]

À ce sujet, voir le dossier spécial de la revue Cultures & Conflits (69/2008): Xénophobie de gouvernement, nationalisme d’Etat. http://conflits.revues.org/10183. [consulté 24/mars/2015].

[8]

Su ce phénomène à l’échelle de l’Europe, voir Alana Lentin (2008).

[9]

Lentin, Alana et Amiraux, Valérie (2013) « François Hollande’s misguided move: taking ‘race’ out of the constitution ». The Guardian, 12/02/2013. http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/feb/12/francois-hollande-race-french-constitution. [consulté 11/Décembre/2013].

[10]

Johnson, Luke (2013) «Clarence Thomas compares affirmative action to slavery, segregation in opinion». The Huffington Post, 24/06/2013. http://www.huffingtonpost.com/2013/06/24/clarence-thomas-affirmative-action_n_3491433.html. [consulté 12/Mai/2014].

[11]

Swarns, Rachel L. (2008) « Delicate Obama Path on Class and Race Preferences », The New York Times, 3 août 2008. http://www.nytimes.com/2008/08/03/us/politics/03affirmative.html?pagewanted=all&_r=0. [consulté 15/septembre/2013].

[12]

Comme un symbole, Abraham Lincoln fut d’ailleurs tenu d’implorer des esclaves libérés de ne pas se prosterner devant lui à son entrée dans la capitale confédérée de Richmond (Brion Davis, 2010). Cette attitude renvoie au « consentement spontané » des groupes subalternes face aux dictats culturels et idéologiques des élites que nous évoquons dans la conclusion de ce travail.

[13]

Le « bon nègre », explique Léon-François Hoffmann, « remplit les mêmes fonctions de dédouanement que le colon malfaisant ; en admettant son existence, ils se présentent comme impartiaux et modérés. Mais il est bien entendu que le Bon Nègre, tout comme le Mauvais Colon, n’est que l’exception qui confirme la règle » (1973 : 140).

[14]

Propos recueillis par la Délégation parlementaire aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes de l’Assemblée Nationale, le 25 octobre 2005, sous la présidence de Marie-Jo Zimmermann. http://www.assemblee-nationale.fr/12/cr-delf/05-06/c0506003.asp. [consulté 24/Mars/2015].


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